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Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (1793)

 

Article 19  -  Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de reprendre sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit.

 

Article 35  -  Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs.

 

Je ne suis pas toujours entièrement d'accord avec le contenu des documents mentionnés dans ce blog,

notamment dans les Annales, 

mais je vous les signale car ils posent de vrais problèmes et peuvent vous faire réfléchir, réagir, ou

vous amener à voter autrement la prochaine fois !

Cavanna, Hara-Kiri n° 73 du 22 juin 1970

03/07/2019

D’oncques, l'homme, vainqueur magnanime, a décidé dans sa bonté d'étendre sa haute protection sur sa petite sœur la nature. La nature n'est plus dangereuse, ses griffes sont rognées, ses crocs sont cassés, on siffle elle accourt bien humble bien dressée, elle dit "Oui, Missié", elle nous mange dans la main. Elle n'est plus l'Ennemie, elle est une vieille clocharde bouffée aux mites, nous pouvons nous payer le luxe de nous attendrir ainsi que nous avons coutume de le faire, délicats et esthètes que nous sommes, sur les grandes belles choses qui disparaissent, hélas, hélas.


La nature se meurt ! La nature est en voie de disparition ! Laisserons-nous se commettre le crime ? D'une seule vois, nous répondons : Non !


Là, tout le monde est d'accord. La nature, dites donc... La nature, hé ben... La nature, peste... Ça se discute même pas. La nature, c'est comme la justice, la vertu, l'honneur, le beau, le bien, l'homme, l'enfance malheureuse, la culture classique, le cuirassé Potemkine, la cuisine au beurre et la musique symphonique. On ne peut pas ne pas être pour. Faudrait être un monstre. La nature, c'est vert, ça vaut un bifteck, ça donne des bonnes joues aux enfants, c'est joli comme arrière-plan pour les photos de famille, surtout en couleurs, surtout quand on vient de manger le dimanche sous la tonnelle, les gueules bien rouges, les pifs violets et le dégueulis d'omelette aux cèpes sur le blazer du petit, toutes ces couleurs sur le vert, c'est... ben c'est féerique, voilà. C'est bien simple, féerique, voilà. Y a pas d'autre mot.. Tout ce que vous voudrez, des vacances sans la nature, c'est pas la même chose, moi je trouve.


La nature est menacée, faut la défendre. Tous nous disons "Présent !".


Ceci dit, nous ne savons même pas de quoi nous parlons.


Oh, je vais pas vous faire le cours subtil que vous attendez, en vous payant d'avance ma tranche, sur le sens exact du mot "nature". Vous connaissez : la nature, c'est pas seulement l'herbe et les petits lapins, c'est tout ce qui existe. Moi aussi ? Toi aussi. Les bagnoles de sport aussi ? Aussi, mon poulet. Les flics aussi ? Arrête tes questions idiotes ou t'as une gifle. Non. Je dis "la nature" comme vous dites ça vous-même, je me mets à votre portée, vous voyez, je suis gentil. Et pas fier. J'appelle nature ce qui n'est pas le béton, la station-service, l'usine à gaz, le RER, la tour de contrôle d'Orly, le sous-marin Redoutable, la capsule Apollo et le bidonville portugais de Champigny. Je pense être suffisamment clair.


Protéger la, donc, nature, ce serait d'abord ne pas balancer chaque matin une petite forêt dans les poubelles de, par exemple, Paris, sous forme de journaux, d'emballages, de prospectus, de lettres d'amour... Hé, oui. Le papier, c'est avec du bois que ça se fait. Le bois, c'est de l'arbre. Et le carton ondulé ? Aussi. Et le super-satiné si doux à mon petit derrière ? Aussi. Ah, bon.


Ce serait ne pas s'enfoncer en forêt, aussi profond que la bagnole peut rouler avec table pliante, zinzins et tout le confort.


Ce serait ne pas aller "blottir" dans la verdure ou sur les montagnes des résidences panoramiques de verre et d'acier pour mous du bide qui veulent siroter la nature par la fenêtre sur grand écran, drink en pogne et le cul dans le polyéthylène.


Ce serait, plus généralement, ne pas avoir une attitude agressive envers ladite nature, ne pas se colleter en voyou avec elle, ne pas chercher à la vaincre et à l'écraser par des formes, des couleurs, des masses, qui l'offusquent, la nient, la rejettent à coups de tatane sur la gueule (acier, alu, arêtes vives, angles brutaux, couleurs hurlantes, lumières d'arbres de Noël...). Même les mieux intentionnés, ceux qui croient aimer la nature et s'y intégrer, ceux-là alors font dans le mièvre, le cucul, le folklore, le chalet suisse en sapin verni avec petits cœurs découpés, la pelouse tondue à l'ordonnance, la corbeille de fleurs comme en plastique...


Abandonnez-vous-y donc, à la nature, bon dieu ! Elle vous tend les bras. Laissez-vous aller. Fondez-vous en elle. Soyez couleur du temps. Gris petit matin frisquet, vert mousse, ocre feuille morte.


Foutez-lui donc la paix, à la nature, bons cons qui croyez l'aimer et qui, le dimanche, allez ravager les bois pour ramener le muguet par kilos en faisant gueuler le klaxon trois tons.


Bien sûr, les usines pollutrices d'eaux vives, les bagnoles empoisonneuses d'air, ça vous ennuie dans votre petit confort, parce que c'est sale, et puis pas sain. Mais tout ça, hein, ça vous dépasse, n'est-ce pas, alors, bof, tant qu'il restera un petit coin de plage praticable en faisant attention de ne pas marcher dans le cambouis, un petit bout de piste skiable avec remonte-viande à la clef et piste de danse, on se fait une raison. Pour que ça vous indigne vraiment, il faudrait que les blessures qu'on lui fait, à la nature, vous fassent mal à vous, dans vos tripes à vous, que vous sentiez que la nature c'est pas du décor autour de vous, c'est vous.


Tant que vous ne la considérerez, cette fameuse "nature", que comme une espèce de parc pour y faire joujou dans un décor pittoresque, que comme la garniture de cresson autour de vos loisirs, vous vous résignerez, plus ou moins facilement, mais vous vous résignerez, à ce qu'elle soit violée, salie, défigurée, et finalement à ce qu'elle disparaisse, tuée par les (puissants ou minuscules) intérêts particuliers. Car après tout, elle n'est que l'accessoire. Pas l'essentiel.


          Tant qu'un industriel fera allègrement raser des milliers d'hectares de forêts pourvu que son petit parc à lui soit une ravissante Suisse miniature,

          tant que les pêcheurs à la ligne ne s'indigneront des déversements de chlore dans les rivières que parce que le chlore tue leurs poissons-joujoux et rien de plus,

          tant que les chasseurs ne déploreront la disparition du gibier sous le plomb des chasseurs que parce que ça prive les chasseurs de gibier,

          tant qu'on ne tolérera la "nature" qu'à condition qu'elle veuille bien se laisser photographier, peindre à l'aquarelle, tondre en pelouse, parcourir à dada..., enfin, se laisser "rentabiliser" comme dit l'autre con,

          tant qu'on ne voudra pas admettre que la nature puisse exister en-dehors de nos petits besoins, vivre sa vie à elle, sans être cadre, spectacle, poubelle ou matière première pour nos petites gueules homocentriques jusqu'au délire,

          tant qu'on devra nous foutre des prétextes de "rentabilité" pour nous faire avaler la pilule "nature",

          tant que vous ne serez pas intimement convaincus que l'existence d'un arbre et de tout ce qui vit sur lui, en lui, autour de lui, par lui, vaut infiniment plus qu'un emballage en couleurs autour d'une tablette de chocolat, même si vous ne grimpez jamais sur l'arbre, même si vous savez que vous ne verrez jamais l'arbre,

          tant que l'homme sera capable de massacrer allégrement tout ce qui bouge pour son petit divertissement (je hais les chasseurs, ces sadiques bardés de cuir, et je hais trois fois les pêcheurs à la ligne, ces mongoliens en pantoufles ou en bottes d'égoutiers),

          tant qu'on sera aussi cons que ça,

          alors il n'y aura rien de fait et, que ça vous plaise ou non, la forêt deviendra autoroute, la prairie deviendra Sarcelles, la montagne deviendra piste de ski, la campagne deviendra parc d'attraction et l'homme deviendra de plus en plus une machine à transformer le globe terrestre en globe de merde avec du ciment dessus.


CAVANNA