Le site photo de Jean-Jacques MILAN

 

Déclaration des droits de l'homme et du citoyen (1793)

 

Article 19  -  Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de reprendre sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit.

 

Article 35  -  Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l'insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs.

 

Je ne suis pas toujours entièrement d'accord avec le contenu des documents mentionnés dans ce blog,

notamment dans les Annales, 

mais je vous les signale car ils posent de vrais problèmes et peuvent vous faire réfléchir, réagir, ou

vous amener à voter autrement la prochaine fois !

Face à l’épidémie, l’hôpital public a besoin de moyens tout de suite

13/03/2020

Charlie Hebdo : En quoi consiste votre travail, votre activité au quotidien ?

François Salachas : Je suis neurologue, praticien hospitalier, c’est-à-dire que j’ai un poste de titulaire à l’Assistance publique, dans le groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, ça fait un peu plus de 25 ans que je travaille dans cet hôpital, et je dirige ce qu’on appelle un Centre de référence maladies rares où l’on traite, notamment, cette maladie connue sous le nom de maladie de Charcot – qui est une pathologie neurodégénérative très sévère, avec une espérance de vie moyenne de l’ordre de trois ans. On reçoit 450 nouveaux cas par an, une file active de 1 300 patients – c’est-à-dire vus au moins une fois dans l’année. La prise en charge est lourde, avec parfois la mise en place d’appareils de ventilation, ce qui n’est pas sans poser problème en ce moment avec les besoins en ressources respiratoires générés par le Coronavirus.

 

Vous avez déclaré qu’aujourd’hui pour soigner vos patients il ne suffit plus de vous occuper d’eux, vous devez aussi interpeller directement les décideurs. Qu’est-ce qui a changé, qu’est-ce qui vous a fait sortir de votre bureau de consultation ?

Des années et des années de déni et d’absence d’écoute de la part de ceux qui ont le pouvoir de faire quelque chose pour l’hôpital public. Un mouvement de défense de l’hôpital public est né il y a dix ans au moment de la loi HPST, quand Nicolas Sarkozy et Roselyne Bachelot ont dit «  on veut un seul patron à l’hôpital, et ce sera un administratif. » La mobilisation a été importante à l’époque, mais très vite les choses sont rentrées dans l’ordre, la loi est passée et les médecins ont perdu toute capacité d’action dans l’hôpital, et la main mise administrative a, petit à petit, aboutit à une forme de maltraitance institutionnelle à l’endroit des soignants, et par voie de conséquence à l’endroit des patients. Et les économies qu’on nous demande de faire à l’hôpital chaque année depuis huit ans, ont été calculées de façon cumulée autour de 9 milliards d’euros. Ce sont des économies qui ont des conséquences d’abord sur la masse salariale, sur les salaires du personnel hospitalier, qui a été complètement gelée, ce qui a mécaniquement retiré des postes (puisqu’il y a une augmentation des salaires suivant l’indice de la fonction publique, donc pour réguler la masse salariale il a fallu retirer des postes chaque année). L’administration nous dit «  rendez-nous des postes  » – comme si on les leur avait pris. Chaque année l’AP-HP a un plan qui dit « à la fin de l’année il faut qu’on ait x postes en moins. » Et comme nous n’avons pas de levier pour agir sur notre administration directe, l’idée est vite venue de s’adresser aux personnes qui sont en position de décider. Ça a été Agnès Buzyn, et plus récemment Olivier Véran, mais on a compris que ça ne se déciderait certainement pas au niveau d’un ministère mais au plus haut, au niveau d’Emmanuel Macron. Agnès Buzyn a abandonné l’idée de sauver l’hôpital public pour sauver sa carrière politique.

 

Pourquoi un Collectif inter-hôpitaux ?

Ce collectif a été créé en octobre 2019. On a besoin d’être unis avec des valeurs communes et un objectif commun. Ce qui est inédit dans ce collectif – et ça intéresse habituellement moyennement les journalistes –, c’est qu’il rassemble des médecins, des infirmières, des aides-soignantes, des psychologues, des kinés, des gens de tous les métiers, et puis des usagers. Et ça aussi c’est nouveau : les usagers nous soutiennent. On a tout fait pour les mobiliser, on est allé sur les marchés pour leur faire signer une pétition pour saisir le Conseil économique, social et environnemental, pour faire prendre conscience aux usagers que leur hôpital public était en danger à très court terme, et ça a plus ou moins bien marché : c’est surtout depuis le 27 février, quand j’ai eu l’occasion d’interpeller directement le président, qu’il y a un afflux d’usagers qui disent « c’est très bien il était temps de dire les choses comme vous les avez dites, mais qu’est-ce qu’on peut faire de notre côté ? ». Comme nous ne sommes pas écoutés, on doit s’inviter. Le Collectif s’est invité auprès de notre président pour le sensibiliser et qu’il donne suite. On demande également aux députés LREM qui ont voté les budgets de l’hôpital s’ils trouvent ça normal. On leur demande s’ils valident leurs décisions. Est-ce que c’est un manque de connaissance de la situation ? Est-ce qu’ils ont été intoxiqués avec les éléments de langage, désinformés ? Il y avait une grosse désinformation dans la façon de présenter le budget. Donc on se bat sur ce plan-là : c’est une bataille de communication. Agnès Buzyn disait : « mon plan pour l’hôpital est formidable mais il est complexe, vous ne le comprenez pas. »

 

Le 27 février Emmanuel Macron vous a répondu qu’il était prêt à venir parler avec vous, ça en est où ?

On a demandé à le rencontrer lui directement, il s’est engagé devant témoin à le faire, il a notamment dit « il faut qu’on les voie vite » : il a ainsi de fait reconnu la légitimité du Collectif inter-hôpitaux comme interlocuteur. Même si quelques heures plus tard, lors d’une conférence de presse à Naples, il se trompait en parlant d’un collectif intersyndical – alors que nous ne sommes pas du tout un syndicat. Et puis il a essayé à ce moment-là de disqualifier mon propos en disant qu’il était venu à la Salpêtrière pour le coronavirus, et que « ce médecin qui est neurologue n’avait rien à faire là ». Alors que la question est bien de savoir si l’hôpital public dans son ensemble va être capable de faire face à la crise sanitaire. Découpler le problème de la prise en charge du coronavirus des forces en présence, c’est quand même témoigner d’une absence de prise en compte de la réalité. Et quand on oublie la réalité elle se charge de se rappeler rapidement à nous.

Justement, l’hôpital public est-il en mesure de réagir à l’épidémie de coronavirus ?

On nous dit qu’on a assez de moyens, qu’il y a seulement un problème de gestion, nous on a dit depuis longtemps qu’on ne réorganise pas un hôpital dans la pénurie, ça ne marche pas, c’est une vision folle du système. Pour réorganiser l’hôpital, il faut d’abord lui donner des moyens. On a dit ça directement aux différents ministres de la Santé, sans succès. Le président a dit qu’il voulait nous voir avant fin mars, c’était le 27 février, nous avons la garantie que le mail demandant ce rendez-vous lui est bien parvenu, on en est là pour l’instant.

 

Agnès Buzyn a abandonné l’idée de sauver l’hôpital public pour sauver sa carrière politique.

Où en est la grève du codage des actes ? (voir Charlie hebdo n°1442)

Il y a plein d’autres actions à venir, mais pour ce qui est de l’arrêt partiel ou complet du codage des actes, c’est l’hôpital Robert Debré qui a été en pointe sur cette action : cet hôpital ne code plus du tout depuis septembre dernier. Non seulement ils ne codent plus, mais ils ne rendront jamais les codes. Parce qu’il faut savoir qu’il y a plusieurs façons de faire : soit on ne code pas du tout les factures des actes médicaux, soit on les code mais on les met de côté, on ne les transmet pas à la sécu, et en fonction de l’évolution du mouvement on relâche ou pas. À Saint-Louis, ils ne facturent plus du tout depuis six mois, les factures n’arrivent pas à la sécurité sociale, donc en théorie elle ne paye pas l’hôpital, sauf que pour l’instant elle continue à payer, avec à terme un risque de perdre une partie du financement ; mais ça pourra se négocier. À la Pitié, la direction a menacé de ne plus fournir les molécules onéreuses si on ne reprenait pas le codage des actes. Cette action a été complétée par la démission de très nombreux médecins de leurs fonctions administratives. On nous a abreuvé de fausses informations mais il se trouve que nous avons beaucoup amélioré notre culture : nous sommes devenus des spécialistes du financement, on s’en serait volontiers passé, mais ça fonctionne dans notre Collectif, avec une intelligence collective, avec un espoir d’efficacité important. Notre revendication numéro 1, c’est une augmentation des salaires du personnel paramédical, les infirmiers et les autres, qui sinon ne reviendront pas à l’hôpital public. Et pour l’instant sur ce point on a rien obtenu. On veut en parler directement avec Emmanuel Macron. Là-dessus, il y a le coronavirus. Ça change l’échelle du temps : avant l’épidémie on parlait de trois à six mois pour essayer de faire revenir du personnel, maintenant c’est une question de jours.

 

Concrètement, ça a quels effets sur votre travail ?

Ici en neurologie on a déjà fermé 15 lits il y a trois semaines, et hier on a fermé 15 lits de plus, pour que le personnel puisse être dirigé vers notre unité de réanimation neurologique, qui va devoir accueillir des patients qui débordent des autres services de l’hôpital qui sont en première ligne pour accueillir les patients positifs au Covid. C’est un effet domino. Avec une réelle perte de chance pour nos patients pendant la période de l’épidémie. Comme on n’a pas de personnel suffisant, en situation de crise, on privilégie la prise en charge du Covid, le personnel ruisselle vers les autres services et ne peuvent plus soigner leurs patients habituels.

L’urgence de faire revenir là tout de suite du personnel, c’est pour soigner les patients Covid, mais c’est aussi tout ce qu’on appelle les sur-accidents. Le Samu étant saturé par les appels « Covid », quelqu’un qui fait un accident cardiaque risque de ne pas pouvoir joindre le Samu et donc de ne pas être pris en charge dans les temps. C’est pour ça qu’on demande instamment au président de la République une réunion d’urgence de notre Collectif avec lui parce qu’on pense avoir des choses très concrètes à lui dire, que ses conseillers ne lui disent pas : il faut se débrouiller pour avoir un afflux massif d’infirmières dans le mois qui vient, par des mesures exceptionnelles. Il faut être réaliste,dans un premier temps ce sera des grosses primes pour faire venir travailler du personnel ; l’épidémie c’est dans les jours qui viennent qu’elle va se jouer : c’est tout de suite qu’il nous faut le personnel ; il faut le payer, et puis il faut lui garantir des conditions de travail en sécurité : d’une part pour bien prendre en charge les patients, et d’autre part de se protéger de la contamination. Quand il y a trop de patients, on n’a pas le temps, on ne fait pas les gestes de sécurité nécessaires pour se protéger. Parce qu’il y a tellement d’incertitudes sur la gravité et sur qui peut être touché, que forcément ça ne se bouscule pas pour venir s’occuper des patients infectés : le personnel est plein d’abnégation, mais ils ne vont pas non plus se sacrifier. C’est un peu le scénario Tchernobyl : ceux qui sont allé éteindre le cœur, on sait ce qu’ils sont devenus. Ils ont une demande légitime de conditions de sécurité pour eux et pour leurs familles, et si on ne comprend pas ça tout de suite, on ne comprend rien à la gestion d’urgence de la crise. Nous, praticiens de terrains, les médecins et aussi les cadres de santé, qui ont tout à fait pris la mesure des problèmes sur le terrain, nous savons ce qu’il faut faire. Écouter le terrain, c’est le bon sens, c’est le discernement, c’est le rôle d’un décideur. La montée en flèche de l’épidémie, c’est pour les jours qui viennent.